Deux internes en médecine, clope au bec, discutent dans le froid devant l’hôpital.
Benjamin :
Je vais arrêter… je crois que je ne suis vraiment pas fait pour ce métier…
Abdel :
« Mais médecin, ce n’est pas un métier. C’est une malédiction ! »
Le héros d’Hippocrate, Benjamin (Vincent Lacoste), se voit devenir un grand médecin. Son histoire est celle d’un chemin initiatique. Son premier stage d’interne dans le service de son père (Jacques Gamblin) ne se passe pas comme prévu. Le jeune homme constate l’écart entre pratique et théorie. Une thématique qui parlera à chacun de nous… Ces illusions que l’on abandonne en découvrant le monde du travail. Cet univers dont on espérait secrètement pouvoir tout révolutionner.
À l’hôpital, la responsabilité est écrasante, le matériel déconne et les effectifs sont clairsemés. Benjamin ne peut pas compter sur le soutien du paternel, et son co-interne, Abdel, est un médecin étranger plus expérimenté que lui. Le jeune homme va se confronter violemment à ses limites, à ses peurs, celles de ses patients, des familles, des médecins, et du personnel.
Une chose est sûre : Hippocrate ne fera pas naître de vocations de docteur. Le personnage principal s’appelle Benjamin. C’est aussi le second prénom du réalisateur du film, Thomas Litli. Ancien médecin et fils de médecin, ce dernier a tourné le film dans le centre hospitalier où il exerçait. Un long-métrage largement inspiré par son expérience personnelle.
L’hôpital y est décrit de manière réaliste, froide et anxiogène, comme rarement le cinéma a su (voulu ?) le montrer. Comme l’a dit le critique de cinéma Serge Daney,
« L’essence des grands films, c’est l’invention du temps (…) le compte à rebours, la fatalité. »
Le film est une vraie réussite de ce point de vue, et parvient à recréer l’ambiance d’un hôpital tout en inventant une temporalité qui lui est propre. En résumé, on s’y croirait.
Devant Dr.House pendant leurs nuits de garde

Certes, on est au cinéma et le tableau est noirci puisque nous sommes dans un drame. L’hôpital a ses bonheurs aussi, mais ils n’ont que peu de place chez Thomas Litli (tout comme le repos pour ses personnages). Peut-être pour donner plus de force à la fresque sociale de ce film : travail en sous-effectif et dans des conditions effroyables, objectifs de productivité irréalisables… Hippocrate ne manque tout de même pas d’humour, mais dur de parler de comédie tant le film prend à la gorge.
Le réalisateur emprunte au naturalisme à la Zola et au film documentaire : un monde bien réel, décrit dans ce qu’il a de routinier, de mécanique, d’implacable. Tout en lumières blafardes et en flous artistiques, il en devient surréaliste.
L’hôpital lui-même est décrit comme un personnage, avec ses murs griffés de graffitis, son activité bruyante en sous-sol, son dédale de portes, ses lumières toujours allumées… Un personnage que l’on ne voit jamais en entier, comme les monstres dans les bons films d’horreur.

Des autres personnages (Reda Kateb et Marianne Denicourt sont très convaincants), on ne capte que des bribes. Internes et infirmières ont des blouses blanches, mais ils évoluent comme des ombres. Comme des fantômes happés par un grand manège. La plupart des acteurs sont d’ailleurs de vrais personnels soignants qui jouent leur propre rôle… et regardent Dr. House pendant leurs nuits de garde. Comme pour mieux dire que l’hôpital ne s’endort jamais.
En salles. Durée : 1 h 42.
Pourquoi vous n’irez (peut-être) pas voir Hippocrate
- C’est un film dur. Pas tant au niveau des images, mais plutôt psychologiquement parlant. N’y amenez pas votre oncle tout juste sorti de réanimation.
- Un film choral, c’est casse-gueule. Centré au départ sur Benjamin, le film se disperse entre la description de l’hôpital, les intrigues. On voit plusieurs fois la fin du film arriver en pensant qu’il n’a plus rien à nous dire.
- Le côté social du film verse dans la caricature. Oui, l’hôpital public manque d’argent, c’est une réalité. Mais le directeur de l’établissement est décrit comme un technocrate coupeur de têtes et incompétent. Un peu facile.
- Très ambitieux au niveau de la mise en scène, doté d’excellents dialogues, Hippocrate ne parvient pourtant pas à se débarrasser de son étiquette de « film français ». La faute à l’histoire ? Le dénouement fait penser à un film de Claude Lelouch, et ce n’est jamais bon signe.
Si vous voulez suivre l’actualité de ce blog sur Facebook, c’est par ici.